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EURO 2000
OPIUM EN VENTE LIBRE

Le mensonge
du ballon rond




C'est reparti. L'Euro 2000, comme on dit, s'installe en Belgique (et aux Pays-Bas), et pendant plusieurs semaines, on ne va plus nous parler que de cet étrange spectacle consistant en vingt-deux personnages, par définition virils, se disputant un ballon dans une arène entourée de dizaines de milliers d'hommes et de femmes hurlant et se comportant parfois en véritables forcenés.

La télévision imposera ce spectacle sur la plupart des chaînes accessibles, assorti de commentaires parfois aussi hurlants et forcenés, qui relèvent davantage du métier de correspondant de guerre que de celui de journaliste soucieux d'objectivité.

Comme il s'agit d'une compétition entre équipes représentant des nations, c'est à un déferlement de passions nationalistes que l'on va assister.

La Belgique, en tant que pays co-organisateur, en sera. C'est sans doute le seul lieu où elle peut encore passer pour nation, et où le tricolore est brandi sans crainte de ridicule. On verra dans les tribunes des grands ou qui se voudraient grands de ce monde soucieux de se montrer près du peuple.

Le foute, on le sait, est le plus grand rassembleur de monde qui soit sous nos latitudes. Chaque semaine, rien que chez nous, les stades voient affluer presque autant de monde qu'une visite papale. Avec cet Euro, ce sera à dix, vingt, trente équivalents de visites papales que l'on aura affaire. Si j'étais le Pape je créerais une équipe du Vatican, la ferais sponsorisé par Walt Disney et l'accompagnerais dans tous ses déplacements

On va encore essayer de nous faire croire qu'il s'agit d'un sport, c'est-à-dire d'un jeu populaire pratiqué hors les portes de la ville (des-portes) par de braves petits gars qui ne songent qu'à s'amuser tout en veillant au développement harmonieux de leur corps. C'est sans doute ce que le foute était au temps ou se pratiquait la soûle entre des groupes représentant des villages ou des quartiers voisins. Cela n'allait pas sans bagarres mais il n'y avait guère de récompenses autres qu'honorifiques à la clé.

Alors qu'aujourd'hui, les joueurs sont des professionnels payés comme l'étaient jadis les plus grandes divas, surentraînés et souvent soumis à des traitements médicaux destinés à accroître leurs performances (1). En temps normal, ces gens-là sont au service d'une entreprise de spectacle, appelée club disposant de capitaux considérables et patronnée par d'autres entreprises n'ayant que peu de rapports avec le sport, comme des banques, des fabricants d'automobiles, voire des producteurs de boissons alcoolisées. Leurs marques s'étalent sur les maillots des joueurs, tout comme sur des panneaux disposés tout autour des stades, dont la lecture est rendue obligatoire par le balayage des caméras de télévision.

De la guerre symbolique...

On est loin des pacifiques rencontres entre amateurs désintéressés, sous le regard de quelques amis et amateurs de jolies passes. Quand les couleurs portées sont celles d'un pays, l'identification nationaliste se superpose à celle que les supporteurs accordent à leurs clubs, avec une ferveur qui relève souvent de l'engagement religieux (2). On a vu ainsi des pays entiers s'enflammer pour les équipes censées les représenter, et croire gagner de la part des autres nations une estime à laquelle les résultats de leur économie ou de leur régime politique ne leur permettaient pas de prétendre. Sans doute s'agit-il là, comme l'a prétendu Umberto Éco, d'une manière de faire la guerre par des moyens sensiblement moins sanguinaires que la manière habituelle. Il n'empêche que le réveil, à l'occasion de ce qui ne devrait être qu'un jeu entre preux chevaliers du ballon déterminés à faire du mieux possible, de passions aussi funestes, encore capables de nos jours de dégénérer en d'horribles massacres, devrait inciter à la réflexion. Car si l'hypothèse de la fonction cathartique de tels affrontements ne doit pas être a priori écartée, celle de l'entretien par le spectacle des mêmes affrontements d'hostilités nocives est tout aussi pertinente. La résurgence des nationalismes aura été l'une des plaies les plus sanglantes de la fin de ce siècle. Faut-il que le fanatisme de supporteurs aveuglés par le camouflage des enjeux véritables contribue à la maintenir ouverte ?

... à la guerre de l'Audimat

Car il ne s'agit, au fond que d'Audimat et de promotions publicitaires. Les chaînes de télévision autorisées à retransmettre les matches accroîtront leur capacité à attirer les spots de réclame, et les joueurs ne seront que les démarcheurs de marques pour qui le prétendu sport n'est qu'un prétexte à étendre leurs marchés. On sait aussi qu'à l'occasion de cette Euro 2000, le bizness du foute pourra accroître son chiffre d'affaires, grâce aux transactions qui s'opéreront autour des joueurs considérés comme les meilleurs, et qui ne sont que les domestiques portant livrées bariolées d'intérêts étrangers à la finalité proclamée du véritable sport : mens sana in corpore sano.

Le pire est sans doute la prétention des médias et de la presse écrite à rencontrer ainsi le goût de l'immense majorité des citoyens. Il va de soi que l'on doit s'intéresser à l'Euro, comme il va de soi que l'on doit pleurer Diana et prendre Teresa pour une sainte. Cette supercherie appelée football va renforcer l'emprise de la télévision sur les foyers et sur les consciences individuelles. Cela permet certes de masquer des enjeux authentiquement vitaux. Mais aussi de rassembler autour des petits écrans une foule hypnotisée par la même absence de sens et qui confond son atomisation avec le faux slogan de l'individualisme contemporain.

Allons, il sera temps, lorsque déferleront sur nos postes les images de ballets anabolisés et de vociférations primitives, de pousser sur la touche extinction du zappeur et de prendre un bon livre. L'Euro nous fournira ainsi l'occasion de redécouvrir le plaisir de se mêler à la pensée d'un auteur capable de parler de vraies passions, loin du bruit et de la fureur d'un monde déboussolé par des intérêts mercantiles. Ce sera la seule raison de le remercier (3).

D'après un texte de Claude Javeau
déja publié dans AL à l'occasion du Mundial
(1) Cela s'appelle le dopage. Et qui donc aurait le droit de leur jeter la pierre ? Pourquoi les sportifs, de tous les professionnels du spectacle, seraient-ils les seuls à ne pouvoir ingurgiter des drogues capables d'améliorer leurs prestations ? Contrôle-t-on les urines des danseuses ou des présentateurs à la télévision ? Cette façon de vouloir faire croire qu'il s'agit de sport au sens ancien du terme ne relève-t-elle pas de l'hypocrisie la plus effrontée ?

(2) Religieux, en effet, les incantations mille fois répétées, les transes, les accoutrements stéréotypés voire le marquage du corps des supporteurs, les beuveries et les autres dépenses de consommation qui accompagnent les matches etc.

(3) Pour les lecteurs que la critique radicale du sport intéresserait, je recommande le livre de Jean-Marie Brohm, Les meutes sportives - Critique de la domination, Paris, I'Harmattan, 1993, 575 pages.
 
 


 

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