Contre
l'apartheid social !

Révolutionnons le nouvel ordre mondial.


La période des trente glorieuses (1945/1975) a été marquée par l'instauration de la production et la consommation de masse et par le renforcement de l'État-providence.

Ce nouveau mode d'exploitation capitaliste (le fordisme), basé sur un compromis historique entre la classe dirigeante et les structures représentatives des travailleurs (les syndicats réformistes) a permis d'assurer à ces derniers un minimum vital : santé, logement, éducation, sécurité de l'emploi...

La pensée économique du fordisme, fondée sur les idées de l'économiste Keynes, peut se résumer ainsi : pour résoudre les crises engendrées par la surproduction (par exemple la crise de 29), il importe de s'appuyer sur le marché intérieur constitué par l'ensemble de la population d'un pays, d'où la mise en place d'économies nationales auto-centrées en Occident. Durant cette période, la demande nationale s'adresse, en priorité, à l'offre nationale. Inversément, en réaction à la crise latente du fordisme, qui se développe à la fin des années 60, on assiste à une internationalisation croissante des marchés : la part des importations et des exportations va croître dans le volume global des échanges, de même que la part des investissements à l'étranger.

La mondialisation de l'économie va se caractériser par une interpénétration et une interdépendance accrues des économies centrales, d'où le besoin pour ces pays de se spécialiser sur des secteurs compétitifs (par exemple le nucléaire en France). Par ailleurs, l'investissement direct à l'étranger prend le pas sur les échanges commerciaux dans le processus d'internationalisation. Ces investissements sont marqués par un degré de plus en plus élevé de concentration au sein des pays avancés et se font aux dépens des pays en développement.

Le monde se construit autour de trois pôles hégémoniques et concurrentiels entre eux : le continent nord-américain (ALENA), l'Union Européenne et le sud-est asiatique (Japon et "nouveaux dragons").

De la mondialisation

Autre phénomène, les marchés et les multinationales acquièrent de plus en plus de puissance, limitant à la portion congrue la réalité du pouvoir que détiennent encore les États. Ces derniers ne peuvent plus déterminer ni contrôler les politiques monétaires et/ou industrielles. Les marchés imposent de plus en plus leur diktat : ce sont eux qui déterminent les choix politiques en fonction des finalités qu'ils se sont fixées. Ils détiennent le véritable pouvoir sur lequel aucun contrôle ne peut être exercé tant leur autonomie est grande. Une politique sociale ne leur plaît pas... la bourse s'effondre. Une politique de restructuration (avec des milliers de perte d'emploi) leur agrée... la bourse monte en flèche.

Cette mondialisation économique n'aurait évidemment pas été possible sans quelques outils adéquats, tels que ! le G8, sorte de gouvernement mondial où les huit pays les plus riches de la planète discutent en vrac de la politique à venir du monde (travail, terrorisme, nucléaire, écologie, flux migratoires...) ! le FMI qui pérennise la domination des pays du Nord sur ceux du Sud et de l'Est à coups de plans d'ajustements structurels (économies vivrières démantelées, politiques sociales sabrées pour que les pays du Sud et de l'Est alimentent unilatéralement les transits vers le Nord) ! la Banque Mondiale ! l'Organisation Mondiale du Commerce qui organise le marché du 21ème siècle, totalement libéralisé et déréglementé. Derrière ces institutions médiatiques existent aussi des forums internationaux comme celui de Davos où chefs d'État, banquiers, financiers, patrons de multinationales débattent, loin des regards indiscrets, des avantages et des inconvénients de la mondialisation.

Une économie virtuelle

Mais, ces outils politiques n'auraient pas suffit à la mondialisation de l'économie de marché si, parallèlement, l'explosion des technologies n'avait permis des échanges toujours plus rapides de marchandises, voire maintenant immédiats pour les transferts de capitaux et de l'information. Les échanges monétaires se fond de plus en plus par le biais d'ordinateurs (monnaie électronique) au détriment de la monnaie fiduciaire (monnaie de papier).

Ainsi des masses de capitaux voyagent dans les fibres téléphoniques sans avoir jamais d'existence concrète. Cette virtualisation de l'économie rend le système de plus en plus fragile et il devient plus difficile de prévoir les "évolutions du marché".

Autre conséquence de cette économie virtuelle, jusqu'à un passé récent, le profit était extrait essentiellement de l'exploitation de la force du travail (d'où la nécessité d'établir un dialogue minimum avec celui-ci).

Depuis une vingtaine d'années, l'exploitation du travail est devenue une condition inessentielle à la reproduction du capital... la principale source de profit étant devenue la spéculation. Cela renforce d'autant la nécessité pour les capitaux de se doter de moyens pouvant limiter les risques, donc de prévoir, autrement dit de "redonner confiance aux marchés".

Du rôle de l'État

Dans le même temps, le rôle de l'État s'est estompé.

Il n'a plus guère de capacité à intervenir dans cette nouvelle variante du capitalisme. Ne déterminant plus les politiques industrielle, monétaire, budgétaire, sociale, il ne peut plus garantir une adéquation nationale entre la sphère de production et celle de la consommation. On assiste à l'émergence d'une finance mondiale toute-puissante, que personne ne contrôle plus et qui dessaisit progressivement les États de leurs prérogatives politiques et de leur souveraineté.

L'objectif des États n'étant plus que d'offrir des conditions d'exploitation de la force de travail les plus profitables pour le capital. Aujourd'hui, cela passe principalement, par des déréglementations des conditions de travail (précarité, flexibilité...), par les privatisations massives des secteurs publics rentables, par une réduction drastique des coûts d'entretien et de reproduction de la force de travail (coupes sombres dans les budgets sociaux : santé, éducation...).

Les États deviennent de plus en plus de gros ministères de l'intérieur chargés de réduire les coûts de la force de travail, d'en durcir les modes d'exploitation et de se doter des moyens de répression suffisants pour parer à toutes éventualités si les exploités et les opprimés en viennent à remettre en cause les règles du jeu.

En raison de ce déplacement du pouvoir au profit des marchés financiers et des multinationales, la "démocratie parlementaire" est de plus en plus une notion vide de réalité concrète. Les États "démocratiques" ont, de fait, de moins en moins de possibilité de contrôler l'usage qui est fait de la richesse par les populations. La souveraineté nationale n'est plus qu'un bavardage de campagne électorale. Par pans entiers, elle passe sous la tutelle du nouveau détenteur du pouvoir : le marché.

Ainsi vouloir conquérir le pouvoir d'État ne peut répondre à nos aspirations dans la mesure où celui-ci n'est même plus en capacité de contrôler la mondialisation. Quelques centaines d'opérateurs puissants possèdent aujourd'hui la réalité du pouvoir bien plus que les votes des citoyens et décident, dans les faits, des taux de croissance et de l'emploi d'une bonne partie du monde.

Dans ce contexte, le clivage droite/gauche n'a plus guère de sens ; il se situe bien plus entre ceux qui défendent la mondialisation capitaliste et ceux qui s'y opposent.

Ce clivage traverse l'ensemble de la caste politique faisant fi des frontières entre les partis. Ainsi, certains anti-mondialistes sont réactionnaires, voulant reconstruire un État-nation fort. Cette "perspective" se fonde sur un retour vers une économie auto-centrée reposant sur le nationalisme et, pour certains, qui s'affirment "progressistes", il n'y aurait point de salut sans retour aux valeurs républicaines. Cela conduit à des impasses, car les uns comme les autres ne pourront jamais faire tourner la roue de l'histoire en sens inverse.

Du mythe du développement

Avec la crise, le mythe du développement a fait long feu ! L'évolution de l'impérialisme impose de nouvelles nécessités. Jusqu'aux années 70, cette politique qui met certaines populations ou certains États sous sa dépendance était expansionniste, maintenant elle a conquis l'ensemble de la planète. Autrement dit, d'une phase de conquête les pays impérialistes sont passés à une gestion totale de celle-ci, au détriment des pays de la périphérie. Ceux-ci ne sont plus seulement des pays subordonnés, réserves de matières premières subissant les effets conjoints de la domination politique et de l'échange inégal, comme à l'époque classique de l'impérialisme. Ce sont des pays qui ne présentent plus d'intérêts, ni économique ni stratégique (fin de la "guerre froide"), pour les pays et les firmes situées au centre. Ce sont des fardeaux purs et simples. Ce ne sont plus des pays promis au "développement", mais des zones de "pauvreté" (mot qui a envahi le langage de la Banque Mondiale) dont les émigrants menacent les "pays démocratiques".

Du racisme

Parallèlement l'idéologie raciste a, elle aussi, évolué. Le racisme différencialiste a pris le pas sur le racisme fondé sur la supériorité de la "race blanche". D'une hiérarchisation raciale, on passe alors à un apartheid social. Isoler les pays pauvres, garantir l'étanchéité des frontières, imposer l'idée que les communautés ne peuvent vivre leurs spécificités que par opposition aux autres et dans leurs limites territoriales respectives.

La misère engendrée par les rapports Nord/Sud/Est révèle au grand jour la barbarie capitaliste et le comportement crapuleux des décideurs politiques et économiques des pays du centre. Se prémunir des pressions migratoires des populations du Sud et de l'Est est devenu leur préoccupation majeure. Politiques anti-immigrés, expulsions for-cées, accords de Shengen, soutiens à des gouvernements plus que douteux dans des pays pouvant servir de zones tampons contenant les flux migratoires (les pays du Maghreb ou du centre de l'Europe par exemple) : tout est bon pour rendre les frontières quasiment hermétiques à l'égard des populations venant d'Afrique ou de l'Est.

Nous assistons à la mise en place d'un nouveau racisme qui puise son idéologie dans le différencialisme, une perversion systématisée du droit à la différence qui affirme l'irréductibilité des modes de vie et des cultures. Concrètement, cela induit que chacun doit rester vivre dans sa propre "aire culturelle", qui recouperait, au regard de l'Histoire, les "aires géographiques". Idéologiquement, ce racisme différencialiste, centré sur le complexe de l'immigration, s'inscrit dans le cadre d'un racisme sans race : un racisme dont le thème dominant n'est pas l'hérédité biologique, mais l'irréductibilité des différences culturelles. Un racisme qui postule la nocivité de l'effacement des frontières, l'incompatibilité des genres de vie et des traditions.

Du nouvel ordre mondial

Avec la mondialisation de l'économie de marché, un nouvel ordre mondial s'affirme : la mise en place d'un véritable développement séparé ou apartheid social. Trois éléments (parmi d'autres) concourent à étayer ce concept ! l'exclusion sociale ! la construction européenne ! les rapports Nord/ Sud/Est.

Exclusion sociale

Pour le premier, on reteindra que pendant les Trente Glorieuses, l'État-providence avait pour mission première d'intégrer l'ensemble des catégories de la population. La crise de l'État-social remet en cause ce mythe fondateur essentiel : le partage, plus ou moins équitable, selon des critères capitalistes (c'est-à-dire en entretenant les inégalités économiques et sociales) des bénéfices du progrès (perçu comme une évolution "normale" depuis la Révolution française). Cette conception (cette idéologie) du progrès est, elle aussi, en crise : de plus en plus souvent perçue comme source de destructions des êtres humains et de la planète.

Pour survivre dans la jungle de la concurrence internationale, les États du centre ont fait le choix de sacrifier des pans entiers de leurs populations. À la volonté d'intégration (économique et sociale) de l'ensemble des couches de la population, ils optent maintenant pour l'exclusion des "improductifs". Les réponses politiques sont de plus en plus autoritaires et sécuritaires pour les exclus, et de plus en plus libérales en ce qui concerne la gestion de l'économie (déréglementation des conditions de travail, précarité, flexibilité, liquidation des "acquis sociaux"...).

L'instauration du RMI traduit, au mieux, cette nouvelle conception de gestion de la force de travail. Il signifie concrètement que l'État pense qu'il y a une part de la population qui est, sinon à jamais, du moins durablement inessentielle à la sphère de production et de la consommation. L'État leur donne juste de quoi ne pas crever et/ou se révolter (environ 2.000 Ff par mois) et qu'ils se débrouillent ! En conséquence de plus en plus de personnes sont marginalisées ou en voie de l'être et ce délibérément. Cela traduit une rupture par rapport à la période historique précédente. Cela se vérifie par l'instauration de véritables quartiers ghetto et de régions sacrifiées.

L'ensemble des dispositifs, regroupé sous le terme générique de politiques de la ville, dans lesquelles on peut inclure les mesures prises par rapport à l'école (par exemple la création de Zones d'Éducation Prioritaire), les politiques sécuritaires ont pour objectif essentiel de masquer la réalité de cette évolution. On évite ainsi de poser les problèmes à partir de ces choix politiques et de société en mettant des emplâtres sur des jambes de bois. On stigmatise les populations qui sont victimes de l'exclusion et que l'on retrouve principalement dans ces quartiers ghettos.

De même le terme immigré prend de plus en plus une connotation sociale. Une personne d'origine japonaise ou américaine sera très rarement vécue comme un ou une immigré ; par contre l'immigré regroupe bien souvent ceux qui seraient source de problèmes : les habitants des quartiers ghetto. De plus en plus les immigrés symbolisent ceux qui vivent là-bas, les nouvelles classes dangereuses.

À l'échelle de la ville, la juxtaposition des quartiers ghettos, de l'ennui et de la misère, face aux quartiers chics, éclatants de luxe et d'opulence, participe à cette logique de développement séparé, d'apartheid social.

De l'Europe des régions

Un des fondements de la construction européenne est la mise en concurrence (à l'échelle européenne) des régions entre elles. Certaines ont de réels moyens pour être performantes et d'autres n'ont plus aucun avenir, si ce n'est le tourisme en se transformant en vastes parcs folkloriques ! Cette concurrence va profiter bien évidemment aux régions déjà les plus riches, ou à celles permettant une exploitation plus intensive de la force de travail.

Les régions deviennent ainsi de véritables États dans l'État, aspirant à devenir des pôles économiques de plus en plus autonomes. Pour ce faire, les notables régionaux étendent leur pouvoir et leur influence à tous les aspects qui touchent de près ou de loin la vie économique.

Les institutions régionales déploient de véritables ambassadeurs qui ont pour charge de trouver des marchés, mais aussi des industriels intéressés pour s'implanter sur leur territoire. On assiste à la mise en place du développement séparé : d'un côté des régions riches et de l'autre des régions pauvres, avec pour conséquence, à terme, l'émergence de flux migratoires des régions pauvres vers les riches.

Cette évolution fait déjà des ravages en Europe. La crise des États-nations se traduit, entre autres, par la volonté séparatiste des plus riches motivée par l'apartheid social. Les guerres en ex-Yougoslavie en ont été la forme la plus exacerbée.

L'éclatement de la Yougoslavie est en partie dû au pari qu'ont fait certaines régions la composant, pari reposant sur la possibilité d'intégration rapide à l'Union Européenne. Rappelons que ce sont d'abord la Slovénie puis la Croatie (les deux régions les plus riches de la Yougoslavie) qui exigèrent leur indépendance. Un des thèmes qui les motivaient, était leur volonté de pouvoir faire partie, à terme, d'un pôle économique hégémonique sur le continent européen afin d'entrer dans la cour des grands. Un des arguments de la campagne menée en Slovénie pour l'indépendance, était qu'il valait mieux être le dernier à la ville, plutôt que le premier au village (la ville étant l'Union Européenne et le village la Yougoslavie). Face à cette évolution où les "riches" se regroupent entre eux au détriment des pauvres, l'argument nationaliste devint prépondérant. Ainsi on vit resurgir l'attachement à un passé mythique : la renaissance de la Grande Serbie. Sous couvert de nationalisme (voire de guerre de religions) on s'étripa pour conquérir le plus de territoire sur l'autre. L'horreur devint systématique dans le but d'obliger les populations des territoires convoités à émigrer afin de s'y substituer (ou du moins de rendre hégémonique) : c'est la purification ethnique.

Un des enjeux idéologique de la guerre en Bosnie a été de détruire toute idée de multiculturalité au profit de la constitution de nations "pures", c'est-à-dire homogènes ethniquement ou monoculturelles, notion qui n'est pas sans rappeler le concept de racisme différencialiste.

Du centre et de la périphérie

Mais ce processus se vérifie aussi au niveau des rapports Nord/Sud/Est. Auparavant les rapports entre le centre et la périphérie se caractérisaient par l'échange inégal.

Idéologiquement, les pays occidentaux imposaient aux pays dits "sous-développés" le modèle du développement (autrement dit le modèle occidental). Ainsi ils pourraient à terme jouir des "bienfaits de la démocratie". Ce discours postulait le développement comme une fin en soi (puisque le progrès était éternel et devait profiter à tous) sans se soucier des réalités culturelles, économiques, sociales de ces pays et encore moins des aspirations de leurs populations.

Beaucoup de pays ont effectivement fait le pari du "développement" et ont basé leur économie sur des productions d'exportation (pétrole, coton, arachide, café...). Ils étaient donc tributaires des marchés internationaux, qu'ils ne contrôlaient pas. Ainsi les pays du centre purent (peuvent) piller les pays du Tiers-monde. Les élites politiques de ces pays bénéficient grandement de cette forme d'échange : elles sont totalement liées, par des intérêts communs (notamment leur maintien au pouvoir) avec les États occidentaux.

Avec l'évolution de l'impérialisme et de l'idéologie différentialiste qui le sous-tend, un véritable apartheid social se met en place à l'échelle de la planète : des continents entiers sont laissés à l'abandon, en particulier l'Afrique. Une partie de la population mondiale est ainsi condamnée à mourir de faim, de guerre, d'épidémie. Le cynisme du raisonnement des décideurs économiques et politiques de la planète est poussé à son comble : plus il y a de morts, moins la pression migratoire sera importante !

Du projet de société

Ce qui est le plus significatif dans les luttes récentes (logement, précarité, sans-papiers...) c'est qu'elles débordent le cadre des revendications quantitatives (réduction du temps de travail, hausse des salaires...) pour poser la question de nos conditions d'existence dans la société.

Que se soient les luttes pour un logement décent, contre la misère sociale de la précarité ou celles des sans-papiers, elles ont un point commun : ce sont des personnes qui survivent dans des conditions inextricables et qui disent Stop ! On arrête, on ne peut plus continuer à vivre de la sorte !

En outre, ces exigences autour de la volonté de vivre dignement, tendent à entrer en contradiction avec des piliers idéologiques de la société autoritaire, mais aussi avec des dispositifs liés à la mondialisation de l'économie.

Le droit de propriété doit-il prévaloir sur le fait de pouvoir se loger décemment ?

À l'heure de l'automatisation et de la surproduction, doit-on accepter que le travail (ou son absence) détermine nos conditions de vie aussi bien par les revenus qu'il procure, qu'au niveau de l'organisation matérielle : choix du lieu d'habitation, organisation du temps ? Est-il normal que des personnes en soit réduites à la mendicité, à la charité, ou à risquer la prison pour vol afin de se nourrir, de se vêtir, de se cultiver, de se divertir ?

Que reste-t-il de la liberté de circulation des personnes (inscrite dans les déclarations des droits de l'homme) dans une Europe qui se renferme comme une forteresse ? En revendiquant la libre circulation des individus, l'ouverture des frontières, les sans-papiers interrogent la société sur son devenir. Voulons-nous vivre dans un monde de "petits blancs" complètement repliés sur eux-mêmes, au sein d'une Europe-barbelés en ayant peur de tout ce qui est extérieur, étranger ? Voulons-nous un monde dans lequel les populations (en particulier les pauvres) seraient assignés à résidence sur leur territoire, un monde dans lequel les cultures seraient étanches les unes par rapport aux autres ? Ou voulons-nous au contraire vivre comme on le veut, avec qui l'on veut et où l'on veut, ce qui passe inévitablement par la reconnaissance de valeurs comme la solidarité, l'égalité, la liberté, l'interculturalité et la libre circulation des hommes, des femmes et des idées ?

En dernière instance, ce sont bien là les question des normes/valeurs qui fondent la société qui sont posées.

Il nous faut donc lutter contre toutes les exclusions (sociale, raciale, sexuelle, culturelle...) qui forment le terreau des pratiques autoritaires et sécuritaires, divisent les populations en catégories ayant des capacités d'action sociales inégales.

Le système capitaliste fonctionne sur le principe de quantification, c'est-à-dire que tout est jaugé en fonction de sa masse. La valeur d'échange prévaut sur la valeur d'usage. Autrement dit, ce n'est pas l'utilité d'une marchandise qui prime mais ce qu'elle peut rapporter comme plus value à ceux qui la détiennent et veulent la vendre. On produit des marchandises non pas en fonction des besoins qu'elles satisfont, mais parce qu'elles vont, par leur échange, faire fructifier le capital investi pour leur réalisation.

En conséquence, des marchandises qui nous sont utiles peuvent cesser d'être produites car elles ne sont pas suffisamment rentables (c'est-à-dire produisant des profits estimés suffisants par et pour le capital). L'objectif de la rationalité du capitalisme n'est pas de satisfaire nos besoins, mais de dégager des profits à partir du capital investi.

Par exemple, les laboratoires pharmaceutiques sacrifient la recherche d'un vaccin contre le sida sur l'autel du profit. Ces laboratoires sont des entreprises privées soumises aux règles du marché et dont la prospérité repose sur la vente de médicaments en grandes quantité dans les pays riches. Il est donc plus intéressant pour eux de trouver un produit efficace contre la maladie du coeur ou le cholestérol que de mobiliser des fonds contre le sida qui concerne, en premier lieu, des régions insolvables (Afrique, Asie) et qui, dans les pays riches, restent une pathologie affectant un nombre relativement limité de personnes. Dans cette logique de marché, il n'est pas intéressant pour les laboratoires de pousser certaines recherches, non seulement parce que celles-ci ne sont pas rentables, mais aussi parce qu'il existe des sources de profits plus attractives encore que la vente de médicaments : la spéculation en bourse. Un jack-pot en bourse rapporte plus que la vente de dix milles comprimés. N'oublions pas non plus que dans les laboratoires, les vrais décideurs ne sont pas les scientifiques ou les chercheurs, mais les actionnaires qui, eux, n'ont pas d'états d'âme.

De la gratuité

Revendiquer la gratuité des transports pour toutes et tous, le libre accès au logement (même si l'on n'a pas de ressources) et à la culture, la liberté et la gratuité de la contraception et de l'avortement, de la santé en général... c'est lutter contre cette hiérarchie sociale fondée sur l'importance de nos ressources financières, elles-mêmes soumises aux aléas d'une conjoncture économique nous échappant totalement.

Ce qui nous importe ce n'est pas combien vaut telle ou telle marchandise et quels profits va-t-elle dégager, mais qu'elle est son utilité pour satisfaire nos besoins et nos désirs.

La misère sociale est avant tout un problème politique.

La combattre relève d'un débat sur le choix de société dans laquelle nous voulons vivre. Par exemple, il y a assez de logements, pour loger tous les SDF et les mal-logés décemment. De même, la production agricole mondiale permet de nourrir 12 milliards de personnes alors que nous sommes environ 6 milliards sur la planète.

Les ressources de ce monde n'ont jamais été aussi abondantes, accepterons-nous encore longtemps que des humains crèvent de pénurie ?
 

Roger Noël Babar



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