alternative
libertaire 209 - éditorial
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Poètes,
vos papiers !
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Il y
a de quoi être scandalisé
par
le "Projet de loi organique des services
de renseignements
et de sécurité" adopté par
les
commissions "Justice" et "Affaires étrangères"
du Sénat
au début du mois de juillet...
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En effet, parmi les missions générales
dévolues à ces services "de sécurité" par les
législateurs, on trouve la lutte contre « l'extrémisme
». Ce dernier terme recouvrant les « conceptions ou visées
racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou
totalitaires, qu'elles soient à caractère politique, idéologique,
confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique,
aux principes de la démocratie et des droits de l'homme »
(c'est nous qui soulignons).
Marquons d'abord notre étonnement
de rencontrer le terme anarchistes au milieu d'une liste de mots comme
racistes, xénophobes, autoritaires (sic), totalitaires...
Une mise au point s'impose. Profitons de
l'occasion pour rappeler aux sénateurs la définition du mot
anarchisme : « L'anarchisme est un mouvement d'idées et d'actions,
qui, en rejetant toute contrainte extérieure à l'homme, se
propose de reconstruire la vie en commun sur la base de la volonté
individuelle autonome » (Encyclopédie Universalis). Selon
cette définition, on peut donc s'étonner de la confusion
idéologique présente dans ce projet de loi qui place côte
à côte, entre autres, les mots anarchistes et autoritaires,
alors que ceux ci sont, par essence, contradictoires.
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Pompiers
incendiaires
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En deuxième lieu, il est très
inquiétant de savoir que la Sûreté de l'État
aurait selon ce texte de loi le droit d'enquêter, voire de perquisitionner
(comme chez Chiquet Mawet le 30 juillet...) ou de mettre sur écoute
téléphonique (ou de saisir du courrier comme cela fut fait
par la même Sûreté sur la boîte postale d'AL,
il y a quelques mois) des personnes pour le seul fait que celles-ci auraient
des conceptions ou des visées anarchistes (même si elles ne
sont qu'à caractère philosophique !) parce que celles ci
seraient contraires, sur le plan théorique, aux principes de la
démocratie représentative ou des droits de l'homme dont le
Sénat revendique hypocritement la défense. Rêver ou
lutter pour un monde basé sur l'autonomie individuelle et débarrassé
de la tutelle gouvernementale serait donc contraire aux principes de la
démocratie parlementaire et aux droits de l'homme ? On peut plu-tôt
se poser des questions sur les visées, au-toritaires contraires,
en théorie et en pratique, aux principes de la démocratie
et aux droits de l'homme, des auteurs de ce projet de loi. En effet, toute
personne aux conceptions anarchistes, qu'elles soient à caractère
politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, devient
par ses seules opinions, une cible obligée de la Sûreté
de l'État, ce qui est en contradiction absolue avec l'article 19
de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui affirme
que « toute personne a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété
pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre
sans considération de frontières, les informations et les
idées par quelque moyen que ce soit ». Ceci, sans oublier
l'article 12 qui stipule que « Nul ne sera l'objet d'im-
mixtions arbitraires dans sa vie privée,
sa famille, son domicile ou sa correspondance ».
En troisième lieu, il faut
noter qu'il s'est trouvé des sénateurs pour tenter d'ôter
de cette liste le mot anarchiste mais que la majorité d'entre eux
décidèrent de l'y maintenir, ce qui indique bien la volonté
de s'attaquer aux groupes ou individus aux conceptions anarchistes par
le simple fait qu'ils se revendiquent anarchistes ou sont considérés
comme tels par les service de sécurité de l'État.
Ceci pourrait amener à penser que cette volonté ne repose
peut être pas simplement sur l'amalgame habituel entre anarchie et
désordre, ou entre anarchisme et terrorisme, mais bien à
une volonté délibérée du pouvoir d'éradiquer
la possibilité même d'envisager la société sur
d'autres bases que celles pratiquées actuellement.
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Au secours
les artistes
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Pour terminer, n'oublions pas qu'au début
du siècle des écrivains comme Tristan Bernard, Octave Mirbeau,
Pierre Veber, Émile Verhaeren, et d'autres, collaboraient à
la rédaction de revues littéraires anarchistes, et de manière
plus actuelle, des poètes et chanteurs comme Georges Brassens et
Léo Ferré n'ont jamais caché leurs idéaux anarchistes
et ont, à plusieurs reprises, chanté pour la Fédération
Anarchiste Francophone (dont certains rédacteurs de notre journal
sont adhérents) ou pour d'autres groupes libertaires. Il faut donc
manquer du minimum de culture politique et historique pour faire côtoyer
tous ces immortels avec des individus d'extrême-droite aux visées
racistes, nationalistes, autoritaires ou totali-taires sous le même
vocable fourre-tout d'extrémistes.
Si ce projet de loi était voté,
la phrase de Léo Ferré, Poète, vos papiers !, serait
de nouveau à l'ordre du jour, et les droits de l'homme, que ce texte
de loi prétend protéger, seraient une fois de plus mis en
danger par l'État.
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Alternative
Libertaire
(sur
base d'un texte envoyé par Xavier B.)