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      Les traités européens

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      Ce n'est pas que la presse majoritaire
      n'informe pas, c'est qu'elle informe sur
      ce qu'elle veut et de la manière qu'elle veut.
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      Autrement dit, en bons chiens de garde, la plupart des médias servent de courroies de transmission pour les classes dominantes, celles-ci se réduisant finalement à la seule classe des financiers. Tout cela est bien connu, inutile de s'y attarder. En ce qui concerne la construction européenne, le résultat de cette obéissance aveugle est qu'il est impossible de trouver une véritable analyse des contenus des traités, de leurs conséquences, et surtout des critiques et des alternatives émanant de divers milieux plus ou moins progressistes. Pire : lorsque la population des pays où la ratification est soumise à un referendum est largement hostile à un traité, on l'accuse d'anti-européanisme archaïque, de nationalisme, d'égoïsme et de repli sur soi frileux. Or, les décisions européennes régissent de plus en plus notre vie, non seulement sans nous consulter, ce qui ne diffère pas des décisions nationales, mais en outre sans nous informer : qui sait ce qui se trouve dans le traité d'Amsterdam ? Même les députés et sénateurs qui sont censés se prononcer sur la ratification ne reçoivent qu'un document préparé par le gouvernement, présenté de manière à faire paraître positives des mesures ultra-libérales et répressives, à l'aide de quelques vagues bonnes intentions qui, chacun le sait, resteront toujours à l'état d'intentions.
       Il y a cependant, face à l'Europe telle qu'elle se fait sous la pression des milieux financiers, une opposition progressiste qui cherche à promouvoir une Europe plus sociale, plus démocratique. Même ces voix-là, qui sont pourtant "politiquement correctes", ne peuvent se faire entendre que dans une presse spécialisée ou militante, ou encore par la publication de livres que bien peu de gens lisent... Aucune chance, par conséquent, de trouver où que ce soit une remise en question radicale, telle que nous voulons la faire, à partir des valeurs anarchistes de démocratie directe, de fédéralisme et d'autogestion économique. Voilà donc le but de cet article : exposer dans les grandes lignes les revendications "social-démocrates progressistes", puis les dépasser par la réaffirmation de notre propre projet.
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      Les revendications social-démocrates
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       Appelons "opposition de gauche" l'ensemble des groupes (certains socialistes, écologistes, communistes...) qui tentent, à chaque nouveau traité, d'inclure toujours plus de transparence démocratique et de protection sociale. Dans le traité d'Amsterdam, leurs principaux objectifs se trouvent déjà énoncés sous forme de "visées", de "dispositions", d'"encouragements" : ce sont la promotion de l'emploi, la libre circulation des citoyens et l'augmentation des pouvoirs du Parlement européen. Mais aucune contrainte n'est prévue pour la réalisation de ces "engagements", qui apparaissent clairement comme une vitrine pour la propagande européenne et comme une concession illusoire à l'opposition, sans qu'aucun doute ne subsiste sur les véritables intentions des décideurs (1).
       Les journalistes, sociologues et politologues qui gravitent autour de cette tendance dénoncent à juste titre la concentration de tous les pouvoirs de décision au sein du Conseil des Ministres, la priorité absolue donnée à l'union monétaire, avec les conséquences désastreuses des assainissements budgétaires sur les acquis sociaux progressivement démantelés, enfin l'éloignement de plus en plus marqué entre l'électeur et des instances dirigeantes qu'il ne connaît même plus.
       En ce qui concerne la défense des acquis sociaux, des groupes tentent de faire pression sur les parlements pour qu'ils défendent une "Europe à visage humain", dénonçant la langue de bois ultra-libérale, l'exploitation de plus en plus effrénée de l'humain, la protection du capital, la perte de contrôle par les pouvoirs législatifs et les conséquences terribles de cette politique en termes de paupérisation généralisée - tout cela étant déchiffré dans des articles prétendument en faveur de l'amélioration du bien-être des populations (2).
       En ce qui concerne la structure politique, une alternative proposée récemment (3) est la mise sur pied d'une véritable citoyenneté européenne, c'est-à-dire d'un pouvoir représentatif indépendant des États et des ministres nationaux, et doté d'une Constitution propre basée sur la Déclaration des Droits de l'Homme, y compris les droits sociaux (emploi, logement, etc.). Cette proposition, que son auteur estime déjà utopique et irréalisable étant donnés les rapports de force actuels, nous paraît à peine édulcorée par rapport à la version ultra-libérale. Sa définition de la citoyenneté reste purement passive, et son idée de la démocratie confirme la confiscation de ce terme dans le sens restreint de démocratie représentative. Quant à l'économie, elle se revêt du masque de la charité mais ne change rien à sa nature profonde : productivisme, capitalisme boursier, salariat. Mieux vaut encore relire Castoriadis : Pour Aristote, souvenez-vous, un citoyen, c'est celui qui est capable de gouverner et d'être gouverné. Tout le monde est capable de gouverner, donc on tire au sort. La politique n'est pas une affaire de spécialiste. Il n'y a pas de science de la politique [...] Donc, chez les Grecs, le peuple décide et les magistrats sont tirés au sort ou désignés par rotation (4).
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      Le projet anarchiste
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       Toutes les critiques de la gauche réformiste, nous les partageons et nous en faisons un combat actuel : il faut se battre contre le pire, c'est-à-dire contre le démantèlement des protections sociales, contre les fausses solutions au chômage que sont la productivité, la consommation et la flexibilité, contre la confiscation du pouvoir par les ministres et les lobbies financiers, contre la tentative de déresponsabilisation et de désinformation des citoyens, contre l'exclusion de tous les indésirables hors de la forteresse Europe.
       Mais nous allons infiniment plus loin, car pour nous il est bien clair que, même avec ses adoucissements, le système économique et politique tel qu'il domine mondialement est inacceptable. Au lieu d'un super-État, nous voulons une fédération d'entités indépendantes (pas nécessairement territoriales mais multiformes : unions professionnelles, associations diverses) ; au lieu des élections, nous voulons les prises de décisions collectives dans tous les domaines ; au lieu du capitalisme boursier, nous voulons une économie axée sur les besoins ; au lieu du salariat, nous voulons la gestion par l'ensemble des producteurs eux-mêmes ; au lieu de la propriété privée des moyens de production, nous voulons la propriété collective. Nous voulons l'abolition de toutes les frontières, la liberté absolue de circuler, de s'établir à l'endroit de son choix... la suppression de tous les papiers, plutôt que des papiers pour tous.
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      Annick Stevens - Centre Libertaire de Bruxelles
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      (1) Chacun peut le constater par soi-même en consultant le livre Traité de Maastricht, mode d'emploi (collection de poche 10/18, 1992), qui comprend le Traité de Rome et les modifications apportées par Maastricht, ainsi que le texte du Traité d'Amsterdam, disponible à la bibliothèque du Centre Libertaire.
      (2) Voir notamment le Groupe d'Action pour une Initiative européenne contre le Démantèlement de la Protection sociale (103 rue Potagère à 1210 Bruxelles, 02/223.35.33).
      (3) André Gauron, Le malentendu européen, Hachette, 1998.
      (4) Cornélius Castoriadis, cité dans Le Monde diplomatique, août 1998, p. 23.

       

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