La résistance

anarcho-syndicaliste

allemande au nazisme

COLLECTIF
Une brochure des éditions Alternative Libertaire -
éditions du Monde Libertaire - 3 euros
disponible par correspondance voir ci-dessous)

Beaucoup d'entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que "l'étranger, c'est l'ennemi". Le plus souvent cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente ; elle ne se manifeste que par des actes isolés, sans lien entre eux, elle ne fonde pas un système. Mais lorsque cela se produit, lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeure d'un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le lager (le camp) ; c'est-à-dire le produit d'une conception du monde poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse ; tant que la conception a cours, les conséquences nous menacent.

Ainsi s'exprimait Primo Levi, dans la préface introductive à son ouvrage Si c'est un homme, récit écrit en 1947 sur son internement au camp d'Auschwitz.

Les camps de concentration furent créés par les dirigeants du IIIe Reich, dès leur arrivée au pouvoir en 1933 (par le biais des élections, ne l'oublions pas), pour la "rééducation" et la "reprise en main" des Allemands antinazis, des condamnés de droit commun asociaux ou des homosexuels. Ils furent administrés à partir de 1936 par les SS de Himmler qui les transformèrent peu à peu et surtout à partir de 1939 en enfers organisés.

L'univers concentrationnaire, monde clos et "autogéré", se définit essentiellement par le travail forcé, la sous-alimentation, les sévices physiques et moraux, la peur, la déchéance et la mort. Les détenus formèrent, durant la Seconde Guerre mondiale, un immense réservoir de main d'œuvre gratuite, servile, indéfiniment renouvelable dont le travail profita aux usines de tous genres, dans toutes les régions du IIIe Reich, y compris dans les pays annexés. À l'extermination par le travail s'ajouta la politique de la solution finale.

Les SS, peu nombreux (à peine quelques centaines pour des dizaines de milliers de détenus) confièrent l'administration directe et subalterne des camps aux détenus eux-mêmes et instaurèrent ainsi une chiourme hiérarchisée, espèce privilégiée, qui se montra aussi sauvage sinon davantage que ses maîtres SS. La dignité humaine a cependant survécu chez certains détenus, permettant des expressions de résistance, de sacrifice à côté de la bestialité de leurs bourreaux.

Les militants anarcho-syndicalistes firent les frais de cette structure d'anéantissement à l'instar de millions d'autres victimes. On leur reprochait leurs idées, leurs actions, leurs revendications. Il est terrifiant de voir comment un système répressif organisé réussit à éliminer toute une frange militante.

Le mouvement anarchiste en Allemagne trouve ses racines vers le milieu du 19e siècle lorsque naît le cercle berlinois Die Freien, dont le principal animateur, Ludwig Bühl édite, en 1844, Berliner Monatschrift, une revue mensuelle pouvant être considérée comme la première revue antiautoritaire. Dans la même période, les frères Bruno et Edgar Bauer s'attachent à publier Die Allgemeine Litteraturzeitung où ils dénoncent les manœuvres des socialistes autoritaires. Edgar Bauer, emprisonné, en 1848, pour délit de presse, sera considéré comme le premier prisonnier d'opinion politique libertaire.

Johann Kaspar Schmidt, dit Max Stirner est issu du cercle berlinois Die Freien. Son ouvrage principal L'Unique et sa propriété est un plaidoyer pour l'individualisme, l'une des tendances de l'anarchisme, toujours vivace en Allemagne. John Henry Mackay (1864-1933) défend ardemment les théories de Stirner. Il publie en 1891 un roman Die Anarchisten où il relate les différends entre anarchistes communistes et individualistes avec comme toile de fond les quartiers ouvriers misérables de Londres à la fin du 19e siècle. Il développera, par la suite, l'argumentation complète de ce roman dans Der Freiheitsucher (1920) et Abrechnung (1932).

Parler de l'anarchisme en Allemagne sans évoquer l'influence de Proudhon et de Bakounine serait une grande erreur. Dès 1842, Dr. Lorenz Stein cite Proudhon et le socialisme français mais ses idées sont combattues par le régime en place et les saisies de journaux sont nombreuses. Des centaines d'Allemands s'exilent à Paris, le cœur de la révolution de juillet. Moses Hess et surtout Karl Grün approfondissent les idées proudhoniennes. Le premier, plutôt maladroitement, car il tente un mélange impossible entre Proudhon et le dogmatisme du radical allemand Wilhelm Weiling. Dès 1845, Hess ralliera les rangs du socialisme autoritaire en publiant une brochure Die letzten Philosophen gegen Max Stirner. Karl Grün (1817 -1877) rencontre Proudhon à Paris durant l'hiver 1844-1845. Il se lie d'amitié et fait paraître en 1849, toujours à Paris, Die soziale Bewegung in Frankreich und in Belgiën. Arnold Rüge, Karl Vogt, Richard Wagner, tous amis de Bakounine, propagent la pensée du révolutionnaire russe.

Les militants ouvriers de la section de langue allemande de la Fédération Jurassienne s'organisent et font paraître à Berne, en 1877, Arbeiterzeitung qui sera diffusé dans toute l'Allemagne grâce à l'aide de camarades suisses. Mais entre 1878 et 1890, la loi anti-socialiste contraint les militants connus à l'exil et réduit toute propagande à caractère socialiste ou anarchiste à la clandestinité.

Johann Most (1846-1906) émigre aux États-Unis en 1882. Il fréquente au début les milieux sociaux démocrates, il est élu au Parlement, puis condamné à s'exiler en raison de son athéisme virulent et des attaques répétées de l'ordre établi. Il publie à Londres, en 1880, Freiheit, organe international des anarchistes de langue allemande. Il participe à la création de l'IWW. Enfant terrible du communisme anarchiste, il meurt dans l'oubli à Cincinatti en 1906.

Rudolf Rocker (1873-1958) reste la figure de proue du mouvement anarcho-syndicaliste allemand. Exilé à Londres, il aide par ses talents d'orateur les anarchistes juifs de la banlieue londonienne et milite durant de nombreuses années au sein de la Fédération des juifs anarchistes. Comme la majeure partie des anarchistes allemands, son cheminement politique le conduit du socialisme marxiste à l'anarchisme. Il est membre des Jungen, l'opposition dans le SPD. Cette aile dissidente permettra peu à peu au futur mouvement anarchiste allemand de puiser ses racines dans son propre pays et de ne plus être un idéal né de l'exil politique. En 1891, la rupture avec le SPD est consommée et le Verein Unabhängiger Sozialisten voit le jour. Ils ont un journal Der Sozialist dont la direction revient en 1893, à Genève, à Gustav Landauer (1870-1919). Ce journal impulse de nombreuses initiatives et bientôt on songe à créer une Anar-chitische Föderation Deutschlands (fédération anarchiste allemande).

Malgré une participation massive au Congrès d'Amsterdam, le mouvement reste stationnaire jusqu'à la Première Guerre mondiale. Entre 1890 et 1914, la presse libertaire abonde et les journaux se concurrencent souvent : Arbeiterzeitung et Der Federalist rivalisent avec Der Revolutionär, organe de l'AFD. Der Sozialist, accusé d'intellectualisme par ses détracteurs se voit supplanté par Neues Leben, issu d'un groupe de Berlin de l'AFD, Verein Freiheitlicher Sozialisten. Der Kampf, journal pour l'anarchisme et le syndicalisme côtoie Der Weckruf (anarcho-syndicaliste) et Die neue Gesellschaft (mensuel anarchiste), tous deux réalisés par les anarchistes fédérés de Rhénanie et Westphalie. La bohême artistique et littéraire, de tendance libertaire, n'est pas en manque de publications elle non plus : Kampf, Der Arme Teufel ou Kain fondé par le poète anarchiste Erich Mühsam (1878-1933).

Freie Vereinigung Deustcher Gewerkschaften, union libre des syndicats allemands, existera de 1897 jusqu'à la Première Guerre mondiale. L'action des anarchistes dans cette organisation syndicale est bénéfique et contribuera à nouer de solides affinités avec les idées libertaires. Leur influence est nette dans Einigkeit, journal de la FVDG.

Quand éclate la guerre de 1914-1918, le parti socialiste vote les crédits de guerre et sombre dans la folie belliciste. La République des Conseils de Bavière, tentative de soulèvement et d'instauration des pratiques libertaires, est écrasée dans un bain de sang. Landauer est fusillé par la soldatesque, Mühsam entreprend un long périple dans les geôles de la République de Weimar.

Cependant, les nouvelles de la révolution en Allemagne, en novembre 1919, ramènent chez eux de nombreux exilés. Rudolf Rocker fait adopter au congrès constitutif de la Freie Arbeiter Union Deutschlands (FAUD), qui se déroule du 27 au 30 décembre 1919, la déclaration de principe du syndicalisme qui rejette l'État et le parlementarisme, rejoignant en ce sens les positions de la Confédération Nationale du Travail espagnole (CNT, anarcho-syndicaliste).

La FVDG ayant disparu avec la guerre, le syndicalisme renaît sous une forme nouvelle : le courant anarchiste du mouvement ouvrier allemand et la tradition syndicaliste révolutionnaire de l'Allemagne d'avant-guerre s'allient en une seule organisation, la FAUD qui se déclare anarcho-syndicaliste. Cette organisation joue un rôle important sous la République de Weimar et adhère, en 1923, à l'Association Internationale des Travailleurs (AIT) antiautoritaire. Elle comptera à son apogée 200.000 cotisants.

La FAUD regroupe des organisations de métiers, des fédérations d'industrie dans toute l'Allemagne. Entre 1918 et 1933, la propagande anarcho-syndicaliste se développe au travers de journaux nationaux comme Der Syndikalist, hebdomadaire tiré à 100.000 exemplaires, ou des feuilles régionales comme Die Arbeiterbörse, des mensuels Arbeiterecho, Die Internationale, Der Bauarbeiter, organe de la fédération des travailleurs du bâtiment, adhérente à la FAUD. La FAUD a son organisation de jeunesse, la Syndikalistische anarchistische Jugend Deutschlands (SAJD) qui publie un journal Junge Anarchisten. Fritz Kater dirige la maison d'éditions de la FAUD dont le catalogue fournit une bibliographie impressionnante sur le mouvement anarchiste. Ces éditions contribuent largement à la diffusion des idées libertaires et à la propagande anarchiste. Des militants comme Helmut Rüdiger, Augustin Souchy, Arthur Lehning ou Rudolf Rocker font de la presse de la FAUD, par leurs articles ou écrits, un remarquable outil de formation et de propagande.

En parallèle à la FAUD existe la Föderation Kommunisticher Anarchisten Deutschlands (FKAD) qui, sous l'égide de Pierre Ramus, publie un journal Der freie Arbeiter et un mensuel pour la jeunesse Freie Jugend.

Au sortir de sa captivité, Mühsam édite Fanal.

Le mouvement reste florissant jusqu'à l'incendie du Reichstag et la montée du fascisme réduit progressivement son influence. Les anarchistes allemands diffusent clandestinement, jusqu'en 1935, différentes revues comme Sozial Revolution, organe des anarcho-syndicalistes allemands à l'étranger.

Une fois de plus la situation politique contraint les anarchistes à l'exil. Certains se réfugient d'abord en France, puis en Espagne où ils combattent dans les rangs de la CNT. Ils se mêlent ensuite au mouvement espagnol en exil (Souchy, Kater) ou au mouvement suédois de la Sverges Arbetares Centralorganisation (SAC, Rüdiger). Rocker part pour les États-Unis. Erich Mühsam sera pendu par les SS, au camp de concentration d'Oranienburg, le 10 juillet 1934, exécuté comme tant d'autres anonymes du mouvement ouvrier.

Nous avons voulu retracer cette période méconnue du mouvement anarchiste allemand. Les rappels historiques et la traduction des récits sur les camps de la mort sont extraits du livre de Rolf Theissen, Peter Walter, Johanna Wilhelms (EMS-KOPP Verlag), paru en Allemagne en 1980 : Anarcho-syndikalistischer Widerstand an Rhein und Ruhr. Zwölf Jahre hinter Stacheldraht und Gitter. Antiautoritäre Arbeiterbewegung im Faschismus.
 

Martine-Lina Rieselfeld




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