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Jean-Pierre
Levaray
Ecrivain, ouvrier, éditeur,
libraire, syndicaliste
et militant libertaire...Depuis plus de 30 ans, Jean-Pierre Levaray travaille en tant qu’ouvrier à l’usine Elf-Total-Fina de la région de Rouen. Un ouvrier syndicaliste Cgt, militant libertaire (responsable de la Fédération anarchiste de la région rouennaise et de sa librairie « L’Insoumise »), éditeur de Cds et d’opuscules littéraires et sociétaux à l’enseigne « On @ faim » et, récemment, auteur à succès de 2 livres à succès de témoignages sur le monde industriel qu’il connaît bien. Il vient de publier « Ecrire en Bleus : carnet d’usine de mai à juin 2003 », un document littéraire et historique qui fera date.
Rouen, la grande métropole normande, « aux cent clochers », surnommée « Le Pot de Chambre de la Normandie » : une grosse ville bourgeoise adossée à son port, agglomération cossue et marchande entourée d’une noria d’usines groupées dans des zones industrielles multiples, touchées par les friches. Sur les hauteurs de la ville, Bihorel, la banlieue cossue et Le Mont Saint Aignan, refuge des classes moyennes et de l’Université. Tout autour, des banlieues ouvrières : Darnétal, Sotteville les Rouen, Saint-Etienne-du-Rouvray, Bois-Guillaume. A une encablure du port industriel, sur la rive gauche, celle des « prolos », l’usine de pétrochimie Total-Fina-Elf fonctionne jour et nuit. Touchée par la récession économique, elle ne fabrique plus que des engrais industriels avec un matériel de plus en plus vétuste, vaches maigres obligent. Depuis plus de trente ans, Jean-Pierre Levaray, ouvrier, s’y poste dans un trois-huit quasi permanent.
Syndicaliste Cgt et militant libertaire
Mais travailler comme ouvrier de jour comme de nuit ne peut occuper entièrement la vie d’un homme. Aussi, dès la fin de son adolescence, Jean-Pierre Levaray s’est-il investi dans des passions à sa mesure : militant libertaire (la revue « Allonz’Enfants » puis les éditions « On @ Faim »), responsable de la Fédération anarchiste de la région rouennaise, au nom de laquelle il a ouvert, voici quelques années, « L’Insoumise », une librairie associative basée dans un des plus déshérités des quartiers rouennais, La Croix de Pierre, à deux pas du quartier de La Pomme d’Or. Notre homme est syndicaliste et s’est posé la question de fonder, sur son lieu de travail, une section de l’anarchiste Cnt (Confederation national de trabajo, syndicat historique), mais il a constaté que les ouvriers n’étaient pas des révolutionnaires et a opté pour la Cgt, la Confédération générale du travail, d’obédience communiste. Ce qui lui permet de contester en direct les « stals » (les staliniens), ennemis historiques des libertaires (les anarchistes) tout en participant activement aux mouvements sociaux de défense des intérêts des ouvriers.
Depuis longtemps
Jean-Pierre Levaray
aime écrire et il écrit très bienMais la grande passion de Jean-Pierre Levaray depuis quelques mois, c’est la publication de livres. Coup sur coup il en a publié deux aux éditions de l’Insomniaque (diffusées dans toutes les librairies) : « Putain d’Usine », un témoignage de sa vie d’ouvrier et « Après la Catastrophe » (de l’usine Azf à Toulouse), qui relate les conséquences d’un sinistre industriel à grande échelle, et dont il a pu observer les conséquences lors de ses déplacements de syndicaliste non permanent. Deux succès de librairie proprement retentissants. Est-ce parce que ces deux livres de Jean-Pierre Levaray témoignent d’un véritable talent d’écrivain ? Est-ce parce que les journalistes ont besoin, de temps à autre, de promouvoir auprès de leurs publics des « prolos » qui savent remarquablement écrire ? Pour ces deux raisons probablement, Jean-Pierre s’est retrouvé, du jour au lendemain, courtisé par les plus grands médias nationaux et internationaux : une page dans « Télérama », suivie, plus récemment, de plusieurs pages dans le même support. Un passage, magnifique de force et de dignité, dans l’émission télévisuelle de Frédéric Ferney et des papiers dans nombre de quotidiens nationaux et à l’étranger, sans compter les revues spécialisées. Les ventes en librairies explosèrent, plongeant Jean-Pierre Levaray dans des positions délicates à tenir face à la direction de son usine (il n’était plus pour elle un « prolo ordinaire »), aux contremaîtres (un mélange de défiance et de jalousie, entrecoupé parfois de reconnaissance) et aux collègues (« Tu vas rester avec nous ? Tu ne vas pas nous trahir ? »). C’est que Jean-Pierre Levaray n’a pas joué la carte de l’hypocrisie dans ses deux livres : il raconte sans détours son quotidien et celui de ses collègues, celui également des différents autres acteurs du monde industriel qu’il connaît bien, puisqu’il y a passé la majeure partie de sa vie salariale, avec un mélange d’attirance (« C’est beau une usine, la nuit ») et de répulsion (« Je perds là-bas ma vie à la gagner »).
Des projets de livres nouveaux
L’insomnie est l’ennemie numéro un de Jean-Pierre Levaray : elle le tient éveillé alors qu’il faudrait qu’il puisse restaurer ses forces pour affronter de nouveaux quarts à l’usine. Rançon du succès, Jean-Pierre est de plus en plus sollicité par les revues, éditeurs et journaux pour témoigner encore et encore sur l’usine mourante. Aussi utilise-t-il le temps libre qu’il se ménage entre le travail, la famille et le militantisme pour voyager dans diverses villes de France, répondant à l’appel de librairies, de bibliothèques, de syndicats et d’associations … Autant de moments de fêtes, de bonheurs et de rencontres qui rendent encore plus insolites ses retours à l’usine. Le succès appelle la reconnaissance : un de ses livres va être adapté en bandes dessinées, des nouvelles et un roman, inédits, sont en préparation. Car Jean-Pierre Levaray est un grand dévoreur de littérature : il trouve même le temps d’entretenir des correspondances avec des écrivains prestigieux qu’il apprécie, et, parmi eux, Nancy Huston.
Un carnet d’usine inédit
Alors, au retour d’un de ses déplacements d’écrivain à succès, un soir de prise de poste à l’usine, Jean-Pierre Levaray découvre un nouveau support d’écriture : « voilà que je trouve ce carnet (vide) dans l’armoire de mon vestiaire. Un vieux carnet, avec une couverture rigide noire, oublié depuis des lustres. Si j’y écrivais quelques impressions de boulot ? Et justement, c’est pendant le mouvement du printemps sur les retraites ». Jean-Pierre Levaray, de mai à juin 2003, va remplir son carnet, relatant l’usine et les mouvements sociaux d’opposition à l’offensive ultra-libérale liberticide de Jean-Pierre Raffarin, l’actuel premier ministre français. En tout 45 pages, qu’il vient de publier à l’enseigne de « On @ Faim » (*) : une somme qui constitue un très percutant témoignage sur notre époque de transition sociétale. Ce récit se tisse autour de sa vie d’ouvrier, avec une description des plus réalistes de l’ambiguïté qu’il éprouve envers son lieu de travail, à la fois mauvais objet (la crasse, la rudesse de plus en plus effective des conditions de travail, la routine éreintante, l’avenir professionnel des plus incertains) et bon objet (une paye qui couvre la majorité des besoins, les collègues et leurs traits de caractère, la beauté de l’usine et de l’industrie, le renard qui vient visiter l’atelier trois fois l’an, pistant lapins et pigeons, le livre de Pierre-Autin Grenier lu dans les toilettes, la vision radieuse de la forêt au loin et des proches falaises). En contrepoint, des scènes vues et vécues lors des multiples manifestations du « printemps social » anti-Raffarinien : une critique en actes, exemples à l’appui, de l’attentisme de tous les syndicats, du militarisme des troskistes, de la solidarité avec des enseignants et des infirmiers. Et puis des instantanés d’atelier et de manifestations comme si nous y étions, ainsi de la scène d’action de blocage des portes de la ville de Rouen. Toute une littérature tissée de main de maître et qui reste, par-delà l’écriture étincelante (Jean-Pierre Levaray sait remarquablement écrire), un témoignage historique de première main sur notre temps. Les étudiants, les historiens, les sociologues, les chercheurs et les autres lecteurs du futur liront les œuvres de Jean-Pierre Levaray avec le même plaisir que ses milliers d’actuels lecteurs éprouvent. Car Jean-Pierre Levaray sait conjuguer les faits, les opinions, les sentiments et les situations et nous les restitue avec cette force qu’animait trois de ses confrères émérites de la région rouennaise : Flaubert, Alain et Fontenelle. En une vigueur mordante de très bel effet, peut-être une des clefs du génie normand, servie par une cadence classique des plus vives et soutenues. Un écrivain inscrit son œuvre dans la littérature quand il sait plonger son particularisme dans le courant général du monde dans lequel il vit. Jean-Pierre Levaray n’a pas échappé à cette règle. La très forte notoriété qu’il rencontre actuellement, loin de lui faire perdre la tête, constitue le salaire de ses efforts. Un talent comme le sien aura été salué anthumement. C’est justice. Il le sera vraisemblablement posthumement. C’est inévitable.
Michel Champendal
Comment se procurer l’ouvrage évoqué :
Jean-Pierre Levaray
Ecrire en Bleus, carnet d’usine de mai à juin 2003
Editions On @ Faim, 45 pages, 3 eurosAdresse :
« ON @ Faim », BP 47, 76802 Saint-Etienne-du-Rouvray, France.
Libertaire Anarchiste Anarchisme http://pagesperso-orange.fr/libertaire/