libertaire anarchisme anarchiste

 

Jacques Testart

démissionne le 27 mai 2003
de la présidence de
la "Commission française
du développement durable"

A l'heure d'un G8 où le faux-cul Jacques Chirac
tente de jouer au porte-drapeau des anti-mondialisation's,
un texte de Jacques Testart qui a démissionné
le 27 mai 2003 de la présidence de la
"Commission française du développement durable".
Explications...

POURQUOI J'AI DEMISSIONNE...

Si, avec la grande majorité des membres actifs de la Commission française du développement durable (CFDD), j'ai souhaité mettre fin à mes fonctions, ce n'est pas en raison de mes divergences avec la politique gouvernementale.

Ces divergences sont bien réelles mais la CFDD était un laboratoire d'idées, pas un cercle politique. C'est la censure exercée par le secrétariat d'Etat sur notre programme d'activité, qui s'est révélée insupportable, empêchant notre liberté d'action, et donc notre fonctionnement.

Pourtant, il faut aussi démasquer l'hypocrisie de ceux qui communiquent sur un avenir vivable tandis qu'ils en ruinent la possibilité.

On a souvent évoqué les ambiguïtés de l'expression "développement durable", laquelle, par la contradiction des deux termes constitue un véritable oxymore.  Mais les critiques portent surtout sur la traduction du mot anglais "sustainable" par le français "durable", négligeant la continuité évidente de "development" à "développement". Dans ce concept de "développement", les écologistes voient l'épanouissement des êtres humains, ce qui ne peut arriver que par un "équilibre durable" (Simon Charbonneau) entre les hommes et la terre, bêtes, plantes, climat, air, eau et sol
confondus.  Aussi le durable ne devient crédible que si la croissance de l'exploitation de la planète est bloquée, c'est-à-dire si les pays les plus riches amorcent une décroissance de leur production.  Or, ce que la plupart des dirigeants et économistes appellent "développement", c'est justement la croissance, parce qu'elle assure un bon positionnement dans la "compétition internationale". Tout le monde reconnaît que notre planète (nous n'en habitons qu'une) est en état de dégradation avancée; alors, la limitation des gaspillages est de simple bon sens.

Mais il est une autre raison de remettre en cause la "compétitivité" partout revendiquée et qui reproduit dans l'économie mondiale le principe de vases communicants: quand le niveau monte en un point du système, c'est qu'il diminue en d'autres points. Il est alors contraire à toute vision globale, et à toute prétention humaniste (si ce n'est humanitaire), de faire croire que l'épanouissement de notre espèce accompagne ce mouvement pourvoyeur d'inégalités et gaspilleur de ressources.  Les contradictions apparaissent bien chez les seconds couteaux du développement (les gagnants, eux, sont dans leur logique impeccable, et les perdants dans leur détresse indicible) : on ne peut pas à la fois revendiquer la stratégie de compétition et critiquer les Etats-Unis parce qu'ils la gagnent (sur l'Irak ou les OGM, sur la culture ou la militarisation).  Si quasiment toutes les multinationales produisant des OGM adhèrent au Conseil mondial des entreprises pour le développement durable, c'est que le CFDD peut servir de colifichet bien présentable.

Il était une fois "le principe responsabilité", proposé par le philosophe allemand Hans Jonas, lequel s'inquiétait de développement technologiques envahissant le monde avant d'avoir été soumis à une réflexion conséquente.

Parce qu'on "introduit l'irréversibilité et l'imprévisibilité humaines dans la sphère de la nature où n'existe aucun remède qui déferait ce qui a été fait" (Hannah Arendt).  C'était dans les années soixante-dix, mais, dix ans plus tard, "le principe responsabilité" s'effaçait devant "le principe de précautions".  Celui-là se préoccupe moins du sens des actions mais, soucieux des erreurs grossières, il exige surtout le respect de bonnes pratiques professionnelles.  On voit bien que la société perd pied devant la techno-science, et les lobbies qui en vivent, quand le principe de précaution se trouve lui-même en difficulté, acculé à se faire tout petit sous les assauts du principe de réalité".  Alors, le développement durable devient la chose des experts et des bonimenteurs, avec des objectifs vagues, des formulations angéliques et des indicateurs rassurants, car seule la mesure rassure, même quand elle évalue les actions absurdes.  La terre, la vie, la relation, je les voudrais chacune "durable et désirable" comme le propose joliment un prochain colloque à Lille. Qui donc a demandé que le monde soit compétitif, hors les marchands d'OGM, de voitures rapides, ou de films conçus par ordinateur?  Le jeu stérile de la compétition, comme une réminiscence applaudie de la bête, est une insulte à ce que nous pourrions être, si ce n'est à ce que nous sommes.  Ce qu'on appelle "le service public", dont on fustige aujourd'hui le manque de compétitivité, n'est-ce pas la forme généreuse et sûre de l'organisation des hommes, pour apprendre, pour se soigner, pour vivre mieux ensemble ?
Fallait-il tant de luttes violentes, tant de poèmes d'amour, tant d'efforts de civilisation pour en arriver là? Comment promettre un développement durable au moment ou une contre-révolution opportuniste ruine un siècle de conquêtes sur la bêtise, l'exploitation et la misère?  Nous ne voulons pas de ce déguisement des marchés par le développement durable, c'est un autre monde que nous voulons, construit sur l'épanouissement des humains dans leur équilibre avec la planète.

Jacques Testart


 (biologiste et directeur de recherches à l'Inserm) a démissionné de la présidence de la "Commission française du développement durable" le 27 mai 2003. (Rebonds - Libération 30.05.2003).
 
 

courrier librairie anarchiste anarchisme

libertaire anarchiste anarchisme